Interview dans Paperjam.lu avec Martine Deprez

"Nous voulons préserver le premier pilier"

Interview: Paperjam.lu (Marc Fassone)

Paperjam.lu : Vous êtes l'une des surprises du gouvernement, une personne de la société civile nommée ministre. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs?

Martine Deprez : Je suis née à Wiltz le 26 avril 1969. J'ai grandi à Harlange, un village au nord du pays près de la frontière belge. J'ai fait mes études secondaires à Luxembourg-ville et mes études universitaires à Liège. J'ai commencé à travailler en 1992 à l'inspection générale de la sécurité sociale où j'ai passé 10 années. Puis, en 2002, j'ai entrepris le stage pour devenir enseignant. À l'époque, j'avais trois enfants et concilier vie familiale et vie professionnelle me semblait plus facile dans l'enseignement. On m'a proposé de rentrer au Conseil d'État en 2012, ce que j'ai accepté volontiers, les enfants étant plus grands. J'ai pu y utiliser l'expérience que j'avais acquise dans les domaines de la sécurité sociale. Dans ce cadre, j'ai suivi l'actualité de ces deux ministères et j'ai avisé les dossiers relatifs aux questions de sécurité sociale et de santé.

Paperjam.lu : Vous avez commencé votre carrière à la sécurité sociale. Était-ce un choix délibéré ou l'un de ces hasards de la vie qui nous font embrasser une carrière qui n'était pas celle à laquelle on aspirait plus jeune?

Martine Deprez : Ce n'était pas un choix. Je voulais dès le départ devenir enseignante en mathématiques. Mais à l'époque, seulement trois postes étaient ouverts sur concours pour quarante candidats. D'un point de vue des probabilités, réussir à décrocher un tel poste du premier coup n'était pas évident...Je me suis rabattue sur la sécurité sociale qui avait ouvert un poste. J'ai été engagée tout de suite et je me suis sentie tellement à l'aise que je n'ai pas pensé à retenter le concours d'enseignant l'année suivante. Revenir ici après plus de vingt années est quelque chose de particulièrement émouvant. C'est un retour aux sources. Hier, je suis retourné dans le bureau où j'avais commencé ma carrière. C'était bizarre comme sensation.

Paperjam.lu : Comment devient-on ministre? Étiez-vous candidate à quelque chose ou est-on venue vous chercher?

Martine Deprez : Je ne sais pas comment on fait une carrière en tant que ministre. Ce que je peux vous raconter, c'est la manière comment j'ai accédé à cette fonction. Grâce à l'expérience acquise au sein du Conseil d'État, j'ai été nommé à un groupe de travail. C'était une mission intense qui s'est achevée fin octobre. J'ai ensuite reçu quelques appels qui me disaient que mon nom circulait dans les couloirs. Sans que je sache bien ce que cela pouvait vouloir dire. Et le 7 novembre, j'ai eu un entretien avec le formateur, Luc Frieden, qui m'a, durant une heure et demie, questionné sur mon attitude vis-à-vis de la santé, de la sécurité sociale. À la fin de la discussion, il m'a demandé textuellement: veux-tu faire partie de mon équipe? Et il m'a proposé ces deux ressorts, réunis au sein d'un même ministère. Ce que j'ai accepté. Et puis plus rien ne s'est passé jusqu'au 15 novembre. Pendant toute une semaine, je ne savais pas à quoi m'en tenir.

Paperjam.lu : D'après vous, pourquoi votre nom s'est-il imposé pour le poste?

Martine Deprez : Il fallait quelqu'un qui connaisse les deux secteurs, les procédures en place ainsi que les rouages politiques. Je remplissais ces trois conditions.

Paperjam.lu : Lorsque vous parlez de compétences politiques, vous référezvous à votre carrière au Conseil d'État ou bien à un passé militant?

Martine Deprez : Les deux. Je suis membre du CSV depuis 1986. J'ai occupé certains postes, comme celui de secrétaire générale adjointe durant quelques années et j'ai participé à trois élections en tant que candidate: deux communales et une législative.

Paperjam.lu : Quel est votre état d'esprit au moment de commencer votre nouvelle carrière de ministre?

Martine Deprez : Détendue, sereine et sans stress. J'ai la chance d'avoir des collaborateurs compétents, déterminés et aimables. J'ai vraiment été accueilli avec le sourire et j'en profite pour découvrir les projets et voir où je peux apporter mon expertise pour les réaliser et les mener à bien.

Paperjam.lu : Quelles sont vos priorités en tant que ministre de la Santé et de la Sécurité sociale?

Martine Deprez : Mes priorités sont celles listées dans le programme gouvernemental. Pour ce qui est de l'ordre de réalisation, nous allons nous concerter dans les jours à venir avec la Chambre des députés pour déterminer l'agenda ministère par ministère.

Paperjam.lu : Quels sont pour vous les dossiers prioritaires, ceux que vous aimeriez pousser à la Chambre?

Martine Deprez : Côté santé, toujours dans l'esprit de l'accord de coalition, ce serait le volet prévention, l'accès équitable aux soins de santé pour tous et puis la planification des soins de santé sur les 10, voire les quinze prochaines années. On parle ici infrastructures, nombre de lits, nouvelles technologies et, grand sujet, digitalisation.

Côté sécurité sociale, la priorité est de consolider durablement les finances du système et notamment l'assurance pension, de l'assurance maladie et dans les années à venir de l'assurance dépendance.

Beaucoup d'évolutions dépendent des conditions économiques, mais 2027 sera une année charnière, celle où les dépenses de l'assurance pension vont dépasser les recettes. En 2027, il faudra se pencher sur la manière d'adapter le système.

Paperjam.lu : Mettre une spécialiste des chiffres à un poste où elle sera chargée d'assurer l'équilibre du système des pensions à long terme, est-ce un message subliminal qu'a envoyé Luc Frieden?

Martine Deprez : Il faut lui demander (rires...). J'ai participé aux travaux concernant le financement de l'assurance pension durant les 10 années où j'ai travaillé au ministre. Je connais bien le système et je suppose que c'est surtout cela qui a compté.

Paperjam.lu : Dans un monde où la population vieillit et où l'économie - au mieux - stagne, comment un système de retraites bâti sur la répartition peut-il être préservé?

Martine Deprez : Si je le savais aujourd'hui je ne serais pas là, j'aurais peut-être un autre job...

Sérieusement, je pense qu'il faut d'abord sensibiliser toute la société au problème. Pour l'instant, j'ai l'impression que comme nous avons beaucoup de réserves, on n'a pas envie d'aborder le problème. C'est une attitude qui ne marche pas. Si on fait une réforme aujourd'hui, elle ne portera vraiment ses fruits que dans 30 ou 40 ans. Si on commence à réfléchir et à agir lorsque les problèmes seront concrètement là, les adaptations seront bien plus drastiques que si on avait agi sur le long terme dès aujourd'hui.

Paperjam.lu : Le fait que la question des pensions ait été quasiment absente des débats lors de la campagne électorale, est-ce pour vous une occasion manquée, voire une erreur?

Martine Deprez :Ni l'un ni l'autre. Cette absence s'explique par l'expérience des campagnes électorales. Jamais personne qui ait pris ce dossier à bras le corps n'a vu augmenter son nombre de voix...

J'ai vécu de l'intérieur la réforme de 1999 des pensions dans la fonction publique. Une réforme qui avait occasionné un véritable remue-ménage. Je n'ai jamais compris pourquoi un tel raffut alors que les adaptations étaient minimes. J'imagine ce qui va se passer si les adaptations nécessaires étaient plus radicales.

Paperjam.lu : Le sujet est-il politiquement sensible et explosif?

Martine Deprez : Oui.

Paperjam.lu : Même si pour l'instant vous n'en êtes qu'au stade de la réflexion pour une éventuelle réforme d'ensemble, que pensez-vous des demandes de l'Aca concernant le renforcement des deuxième et troisième piliers? Cela fait-il partie de vos réflexions?

Martine Deprez : On est au-delà de la réflexion. Ce renforcement fait partie des priorités insérées dans le programme gouvernemental.Actuellement, l'importance et la santé du premier pilier marginalisent les deux autres. Des piliers qui concernent les gens qui ont eu de l'argent en trop durant leur vie active. L'idée du premier pilier est de conférer une couverture universelle à ceux qui n'en ont pas les moyens. Pour l'instant, ce pilier couvre au Luxembourg une grande partie de la population. Nous voulons préserver le premier pilier et il n'y aura pas de changement fondamental dans cette attitude-là. Mais l'importance des deuxième et troisième piliers ira grandissant.

Paperjam.lu : Peut imaginer quand même à terme que les hausses de cotisations soient indispensables, inévitables?

Martine Deprez : Les pensions, c'est un régime où il y a de l'argent qui rentre et de l'argent qui sort. Soit on fait rentrer plus d'argent, soit on fait sortir moins d'argent. Il n'y a pas énormément d'autres possibilités...

Paperjam.lu : Dans cinq ans, qu'est-ce qui vous rendrait la plus fière de votre action gouvernementale?

Martine Deprez : Que tout le monde soit content de ce qu'on a réalisé et qu'on attende de moi que je me présente aux élections.

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