Discours de Lydia Mutsch à l'occasion de la conférence sur les conditions de travail de demain

"Il faut que l’Union Européenne défende au mieux (...) des standards sociaux fondamentaux à travers l’Europe et le monde"

Seul le discours prononcé fait foi

"Madame et Monsieur les présidents des sessions,

Mesdames et Messieurs les modérateurs des débats,

Chers invités,

Mesdames et Messieurs,

En l’absence de mon confrère Nicolas Schmit, Ministre du Travail, j’ai l’honneur en tant que Ministre de la Santé de vous souhaiter à toutes et à tous la bienvenue et d’ouvrir cette conférence consacrée aux conditions de travail de demain avec un accent sur la santé et la sécurité au travail dans un contexte de nouvelles formes d’emploi et de mobilité croissante.

Introduction / Historique

Mesdames et Messieurs,

En haut de la liste des priorités de la Présidence luxembourgeoise figure "l’Approfondissement de la Dimension Sociale Européenne". Même si d’aucuns pensent que le modèle social européen est le plus souvent un "OPNI" c’est-à-dire un objet politique non identifié, il existe pourtant un domaine dans lequel l’Europe a été un moteur principal en matière sociale, c’est celui de la santé au travail. Il est ainsi écrit à l’article 118 A du Traité de la Communauté Européenne que "Les États membres s’attachent à promouvoir l’amélioration, notamment du milieu de travail, pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs".

La directive-cadre européenne relative à la promotion de la sécurité et à la santé au travail adoptée en 1989 est le fruit d’un compromis historique. Cette directive-cadre peut être considérée comme la mère de toutes les directives sociales, elle est le socle de la construction de la santé au travail en Europe et a donné naissance à plus de 20 directives particulières. Elle a également inspiré plusieurs directives transversales comme par exemple celle concernant la protection des jeunes travailleurs.

L’Union européenne et toutes ses institutions doivent respecter et promouvoir les droits sociaux fondamentaux, inscrits dans sa Charte, parmi lesquels figure le droit de tout travailleur "à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité" (article 31-1). De ce point de vue, l’amélioration des conditions de travail constitue une obligation des états membres afin de respecter le Traité Européen qui est le fondement de notre Union Européenne.

Quelques exemples et chiffres à l’appui

Malgré tous les efforts déployés dans les entreprises, il reste beaucoup à faire sur le terrain car on constate toujours des postures physiques pénibles, du stress au travail, des lombalgies, des troubles musculo-squelettiques dus à un travail très répétitif, une accidentalité élevée pour les travailleurs précaires.

Suivant une enquête Eurobaromètre récente, il ressort que les travailleurs voient en premier lieu, dans le stress l’un des principaux risques professionnels, devant les risques ergonomiques.

Chaque année, en Europe, 168.000 décès sont dus aux accidents du travail ou aux suites de maladies professionnelles, dont la moitié sont des cancers et un quart des pathologies cardiovasculaires. Le coût financier de ces atteintes s’élève à 5,9% du PIB de l’Union européenne (UE).

Programmes et stratégies de l’UE en matière de santé et sécurité au travail

Par le biais de ses multiples programmes pluriannuels et cadres stratégiques en matière de santé et sécurité au travail (2002–2006, et 2007-2012), l’UE a fortement tiré vers le haut les politiques nationales des états membres, a contribué à une culture de prévention dans les entreprises et a réalisé par exemple une réduction des accidents de travail de 25 % entre 2007 et 2012.

Le nouveau cadrage sur la santé et la sécurité au travail pour la période 2014-2020 prévoit plusieurs enjeux clés.

  • Améliorer la mise en oeuvre de la législation existante tout en éliminant ses contraintes administratives
  • Améliorer la prévention des maladies professionnelles notamment en s’attaquant aux nouveaux risques.
  • Prendre en compte le vieillissement de la population européenne active.
  • Faciliter le contrôle de la législation en insistant sur le rôle essentiel des inspections du travail.

Réflexions, critiques, suggestions

Malgré ces initiatives très appréciables il ne faut pas perdre de vue certains éléments qui peuvent poser problème:

  1. L’évolution de l’environnement de travail et des technologies nouvelles nécessitera une mise à jour régulière de la législation existante d’autant que l’édifice des normes communautaires en matière de prévention des risques professionnels est ancien, et renvoie plus aux risques du travail industriel qu’à ceux issus des économies de services et des activités en rapport avec les nouvelles techniques de l’information et de la communication.
  2. Il faut arrêter certains penchants de déréglementation et le démantèlement de la législation protégeant les droits des travailleurs et entraînant une réduction du dialogue social. Il faut que l’Union Européenne défende au mieux et en partenariat avec l’Organisation Internationale du Travail des standards sociaux fondamentaux à travers l’Europe et le monde.
  3. La principale idée de protection du travail est liée à la notion d’une part de poste de travail et d’autre part de lieu de travail. Or restructurations et transformations du travail ont largement vidé ou dépassé ces notions. La polyvalence et, la mobilité inhérente à un grand nombre d’emplois, qualifiés ou non, le travail auprès des clients et le télétravail nécessitent une redéfinition du contexte de protection. Pour ceux qui changent continuellement d’entreprise et de poste de travail ou oscillent entre travail et chômage, toute culture de la prévention semble vaine !Dans une économie de services, le danger vient non plus des machines ou des substances, mais des organisations et des formes d’emploi que cette économie engendre.
  4. Dans la majorité des pays européens, on observe depuis plus de 20 ans une progression des inégalités sociales de santé. Les politiques de santé publique, et j’en suis moi-même consciente, cherchent à modifier les comportements individuels de santé et tentent parfois de négliger la part des conditions de travail et d’emploi. Les conditions de travail "dites précaires" nuisent sérieusement à la santé: en premier lieu, le chômage qui constitue un élément essentiel de détérioration de la santé physique et mentale. Le chômage se traduit souvent, en plus d’une perte de revenus, par un affaiblissement du réseau social, par un isolement accru et par une dévalorisation.

    Secundo, l’external isation croissante d’activités par des entreprises a été menée principalement suivant une logique de réduction des coûts. Elle tend à imposer une division du travail où les activités réalisées en sous-traitance conduisent à la fois à une surexposition à des risques professionnels et à une fragilité de l’emploi.

    Tertio, l’intensification du travail signalé par toutes les statistiques européennes, a des conséquences multiples sur la santé. Elle contribue massivement aux troubles musculosquelettiques dont souffre près d’un travailleur sur quatre en Europe. Elle intervient, de façon cumulative, dans ce qu’il faut bien appeler un vieillissement accéléré par le travail et surtout dans beaucoup de problèmes de santé mentale.

Mesdames et Messieurs,

À nous de relever tous ces défis !

L’engagement pour de bonnes conditions de travail, des standards en matière de sécurité et de santé, est plus nécessaire que jamais. Une entreprise moderne, compétitive et innovante doit considérer que l’investissement dans de bonnes conditions de travail ainsi que dans le bien-être et la santé de ses salariés est un investissement dans son capital le plus précieux, le capital humain. C’est le sens de responsabilité sociale qu’il faut promouvoir.

J’ose espérer que le programme de ces deux jours de conférence qui vous a été soumis, stimulera votre curiosité et votre attention pour une participation active et enrichissante aux débats.

Merci de votre attention."

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