Interview avec Paulette Lenert sur Paperjam.lu

"Les répliques de Paulette Lenert aux attaques de l'AMMD"

Interview: Paperjam.lu (Julien Carette et Pierre Pailler)

Paperjam : Vous apparaissez actuellement un peu au coeur du cyclone, avec d'un côté la charge de l'Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) et, de l'autre, celle du CSV. Les deux appuyant plus ou moins sur les mêmes thèmes (pénurie de médecins, soins ambulatoires, délais d'attente, etc). Vous comprenez les critiques?

Paulette Lenert : Difficilement quand elles proviennent de I'AMMD. Moins quand elles émanent d'un parti d'opposition. Au niveau des soins ambulatoires, j'ai entendu voici peu Alain Schmit, président de I'AMMD, dire qu'il faut un lien entre l'extrahospitalier et l'hôpital ou encore un nouveau mode de financement. Le projet de loi (baptisé "virage ambulatoire", ndlr) que nous défendons ne dit pas autre chose. J'aimerais échanger de manière plus précise sur le sujet avec I'AMMD, voir où se situent nos différences. Mais quand j'entends que c'est moi qui manque de dialogue, je ne suis pas d'accord...

Paperjam : Pourquoi?

Paulette Lenert : En juillet, lorsque nous avons présenté les grandes lignes du plan national de santé, nous avons lancé un appel aux acteurs du secteur, afin qu'ils nous fassent remonter leurs observations, mais aussi de voir de quoi ils avaient besoin.

C'est comme cela que j'aime avancer, en dialoguant. Or, nous attendons toujours une réponse de I'AMMD... Dans le même ordre d'idée, nous avons organisé le 12 octobre une Gesondheetsdesch (une table ronde santé, ndlr). Tout le monde a répondu présent à une exception près...

Paperjam : L'AMMD?

Paulette Lenert : Elle tenait son assemblée générale le même jour. Nous leur avons alors proposé différentes tranches horaires afin qu'ils puissent tout de même venir échanger, sans succès... Alors, vous comprenez que lorsqu'on dit que c'est moi qui ne veux pas dialoguer... Je constate, par contre, qu'eux aiment le faire, mais vers l'extérieur.

Paperjam : Le problème que rencontre la politique de santé publique est-il structurel?

Paulette Lenert : Non. Le système de santé est un processus continu, qui doit être actualisé et revu régulièrement. Il faut bien garder en tête que notre pays a grandi très rapidement. Il n'y a pas si longtemps, la population se situait encore sous les 500.000 personnes. Et il n'est pas toujours simple de tout adapter au même rythme, lorsque ce dernier est élevé.

Mais il ne faut pas tout voir en noir. Le récent rapport de I'OCDE montre à quel point le Luxembourg a été résilient dans la gestion de la crise du Covid-19. Si notre système de santé était mauvais, il n'aurait certainement pas été aussi positif. Nous sommes simplement confrontés aux mêmes défis que nos voisins. La pénurie qui nous touche au niveau des ressources humaines n'est pas propre au Luxembourg, ni même au secteur de la santé. Lorsque je rencontre mes homologues européens, c'est toujours LE sujet qui pose souci. Le manque de main-d'oeuvre est généralisé.

Paperjam : Quelles sont les solutions?

Paulette Lenert : Nous avions ce manque lié à la formation des médecins et, au-delà, à toutes les fonctions du secteur la santé. Ne pas avoir d'université était problématique. Parce que les étudiants ont tendance à rester accrochés au lieu de leurs études. Désormais, à Belval, nous avons donc un Bachelor en médecine (la possibilité d'un Master est en discussion, ndlr). Cela prend du temps à mettre en place. On n'ouvre pas ainsi un cursus complet du jour au lendemain. Mais nous avançons. Tout comme nous le faisons en écoutant aussi les étudiants. Ces derniers peuvent apporter de bonnes pistes. Il nous est ainsi, par exemple, remonté qu'en Suisse, la dernière année d'études est prise en charge. Financièrement, c'est forcément intéressant pour les futurs médecins. Et du coup, cela attire bon nombre d'étudiants.

La société a évolué. Il faut pouvoir mettre en place des incitatifs comme ceux-là. C'est aussi en ce sens qu'un autre projet de loi, prévoyant l'élargissement du droit d'association entre médecins et/ou professionnels de santé, a vu le jour. C'était une revendication de I'AMMD depuis des années. Elle a ressurgi lors d'une table ronde santé et a été traduite dans un projet de loi désormais déposé. L'Association des médecins et médecins-dentistes peut donc difficilement dire que je ne l'écoute pas...

Paperjam : Lors de l'assemblée générale de cette dernière, on a pu entendre que "les patients ont été abandonnés par la politique de santé des 15 dernières années." Ce qui est une critique indirecte envers votre parti, le LSAP, qui détient ce ministère depuis 2004. Une certaine alternance ne serait-elle pas, parfois, nécessaire?

Paulette Lenert : Au vu du rapport de I'OCDE dont je vous parlais, le Luxembourg peut être fier d'avoir eu le LSAP à la manoeuvre pendant toutes ces années! Cela a permis de ne pas avoir un système de santé sous-financé, à l'image de ce qu'on a pu constater dans d'autres pays, où des couleurs politiques différentes ont occupé ces fonctions.

Vous savez, à I'OCDE, ce ne sont pas vraiment des enfants de choeur. Ils sont même plutôt secs dans leurs évaluations.

Donc, si eux disent que nous nous en sommes bien sortis, on peut difficilement affirmer par la suite que nos patients ont été abandonnés. Au moment le plus fort de la crise sanitaire, on n'a pas vu de longues files devant les portes d'entrée des hôpitaux ou des patients traités dans des locaux de fortune. En prononçant ce genre de phrase, I'AMMD n'est pas dans la critique, mais dans la polémique. Ou alors qu'ils donnent clairement des exemples de ce qu'ils estiment être un abandon de patient.

Paperjam  On pointe souvent du doigt des délais d'attente particulièrement longs...

Paulette Lenert : C'est un souci qui est effectivement apparu avec l'augmentation de la population. Mais on agit pour le résoudre. Qui plus est que le projet de loi sur le virage ambulatoire va ouvrir pas mal de possibilités.

Si je prends le cas des examens radiologiques, par exemple, nous nous sommes rendu compte du problème et nous avons augmenté les capacités de plus de 50%, avec l’apparition de quatre nouveaux centres (de 7 à 11, ndlr) mis en place au début de la crise sanitaire. Beaucoup de retard a été accumulé durant celle-ci. Si on voulait être intellectuellement honnête, il faudrait laisser une année s’écouler après la pandémie pour voir comment cela a résorbé les délais.

Après, au niveau des médecins, on essaie d’objectiver les choses avec, notamment, un outil comme Doctena. Les délais semblent varier d’une spécialité à l’autre. Mais on manque de données. Je ne nie pas qu’un problème existe, mais là aussi, il faudrait qu’on en discute avec l’AMMD. Afin d’aller dans les détails pour évaluer où se situent les soucis. Est-ce aussi, il faudrait qu’on en discute avec l’AMMD. Est-ce une question de tarifs? De pénibilité dans les études? Ou liée à d’autres facteurs? une question de tarifs? De pénibilité dans les études? Ou liée à d’autres facteurs?

Paperjam  Au niveau des médecins, ce qui a marqué, c’est la démission simultanée des six cardiologues du Centre hospitalier du Nord (CHDN) à Ettelbruck…

Paulette Lenert : Cela m’a fait un petit choc aussi. Même si, avec le recul, j’ai l’impression que cela a été dramatisé et instrumentalisé. L’AMMD, par exemple, s’en est servi pour proclamer que les médecins fuyaient le Luxembourg.

Alors qu’ils n’ont pas quitté le pays et se sont juste mis à leur compte, en extrahospitalier. Une manière d’avoir une meilleure qualité de vie sans doute… D’après mes infos, moins de 15 jours après la publication des offres d’emploi, trois candidats se sont déjà présentés. Il y aura un souci si, en décembre, le CHDN est vraiment dans une position problématique. Mais cela n'en prend pas la direction.

Paperjam  On pointe souvent la faible indemnisation des médecins lors des gardes et astreintes légalement imposées…

Paulette Lenert : Les négociations n’ont pas été faciles mais une enveloppe de 44 millions d’euros a été dégagée. Une garde de 24 heures, cela représente un montant de l’ordre de 2.300 euros. Qui s’ajoute à ce que le médecin facture pour les actes qu’il pose ces jours-là. Soit 96 euros l’heure supplémentaire. Tandis que l’heure d’astreinte est, elle, fixée à 40 euros. Ce dernier montant est donc ce que touche un médecin pour être simplement joignable si besoin. Je vous avoue que j’ai du mal à comprendre lorsqu’on parle de faible indemnisation. Il faut se rendre compte que certaines personnes travaillent un mois pour gagner l’équivalent de deux jours de garde.»

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