Interview avec Paulette Lenert dans Paperjam

"Garder la surmortalité à un niveau modeste"

Interview: Paperjam (Pierre Pailler Et Nicolas Léonard)

Paperjam: Les chiffres des infections restent sur un plateau élevé, ainsi que le nombre d'hospitalisations, particulièrement en soins intensifs. Alléger les mesures anti-Covid n'est-il pas prématuré?

Paulette Lenert: Le taux d'incidence n'est pas déterminant en lui-même parce que les conséquences vont changer avec l'effet de la vaccination: vous aurez moins d'effets dans les hôpitaux avec une incidence similaire à celle d'il y a quelques mois. Nous observons, avec la stabilité actuelle, une diminution des nouvelles infections auprès des catégories vulnérables, donc celles que nous allons retrouver dans les hôpitaux. Donc la situation est en train de s'améliorer.

Paperjam: Mais, avec ces plateaux très élevés, le risque d'un rebond n'est-il pas important?

Paulette Lenert: Il y a toujours un risque de retourner dans l'exponentialité pour une raison ou une autre et de devoir tout changer à nouveau. Et les nouveaux variants peuvent perturber. Mais nous n'avons jamais eu une stratégie `zéro Covid': nous essayons d'aplatir la courbe pour éviter qu'il y ait trop de personnes à un moment donné dans les hôpitaux. Et la situation épidémique semble stable. Le facteur R est au-dessous de 1 (ce qui signifie qu'une personne infectée contamine moins d'une personne en moyenne, et que l'épidémie est en régression, ndlr). La présence du virus dans les eaux usées est stable. Donc c'est concordant.

Paperjam: Les nouveaux variants vous inquiètent-ils?

Paulette Lenert: Oui. Jusqu'à maintenant, nous avons pu briser toutes les chaînes. Cela semble maitrisé. Mais il faut toujours se rappeler que nous sommes au Luxembourg, qui n'est pas une petite île fermée, donc il y a un risque d'importer des variants, il faut être lucide.

Paperjam: Cette stratégie de mitiger le virus tout en le laissant circuler, s'il permet de protéger les hôpitaux, provoque des cas graves, des décès - plus de 800 désormais dans le pays Ne banalise-t-on pas ces décès quotidiens?

Paulette Lenert: Non, pas du tout. Car ce qu'il faut aussi regarder, c'est la surmortalité, pas seulement les morts en soi. Et sur ce point nous sommes assez bien sur toute la pandémie. Il y a eu deux petites flambées lors desquelles nous sommes allés dans la surmortalité. Alors, oui, cela choque de dire 800 décès. Mais qu'est-ce que cela représente par rapport à la moyenne? Il faut prendre de la distance, comparer ce qui est comparable. Ce n'est pas comma si personne ne décédait non plus les autres années. C'est ainsi qu'il faudra mesurer, une fois que la pandémie sera finie: voir globalement quelle était la surmortalité. L'objectif est évidemment de la garder modeste.

Paperjam: Après plus d'un an de pandémie et de restrictions des libertés, avez-vous eu peur d'assister à des scènes de contestations explosives comme en Belgique ou en Allemagne?

Paulette Lenert: Moins, parce que nous avons cherché à garder un maximum de libertés. Les magasins sont restés ouverts, on a pu aller au cinéma... Le couvre-feu, je ne veux pas le banaliser - mais on beau râler, il est à 23h, ce n'est pas 18h ou 19h, et cela fait une grande différence. Quand vous comparez le taux de sévérité des mesures, c'est beaucoup plus nuancé au Luxembourg. Cela permet de vivre quand même plus ou moins normalement.

Paperjam: En quoi vont consister les prochaines étapes du déconfinement?

Paulette Lenert: Tout est envisagé. Je pense qu'il reste encore au moins deux ou trois étapes...

Paperjam: La prise de décisions à ce niveau est-elle collégiale ou prise au sein d'un noyau dur?

Paulette Lenert: C'est toujours consensuel. C'est au niveau des deux présidents de la cellule de crise, à savoir le haut-commissaire, qui relève du Premier ministre, et moi-même, que se font les préparatifs. Ensuite, un groupe interministériel va faire une analyse de la situation et une proposition. Et c'est cela que nous présentons au gouvernement.

Paperjam: Les discussions peuvent-elles être vives au sein du Conseil de gouvernement?

Paulette Lenert: Comme partout. Nous sommes des êtres humains. Mais je dois dire que, pendant la pandémie, il y avait une énorme solidarité. Je n'ai pas eu de coups de couteau dans le dos. D'autres pays sont plus dans les processus électoraux en ce moment...

Paperjam: Il n'y a pas de divergences de vues entre les ministères?

Paulette Lenert: Très franchement, non. Je sais que tout le monde a envie de deviner des querelles, mais ce n'est pas le cas. C'est vrai que c'est assez consensuel. Il y a de la confiance, une certaine routine... Et, au niveau du ministère de la Santé, nous ne sommes pas des ayatollahs, nous avons le même but final que tout le monde: que le pays s'en sorte bien. Si on ouvre trop vite, cela va nous retomber dessus, et ce n'est pas durable, donc on cherche vraiment à réfléchir ensemble. Car cela ne m'est pas du tout égal que des entreprises ferment. Ce n'est pas parce que je suis ministre de la Santé que j'éclipse tout cela. La santé mentale, les existences qui tombent, c'est un tout. Donc, une pandémie, c'est un tout à gérer. Et tout le monde essaie de contribuer à la réflexion. Tout le monde a cette même volonté de s'en sortir. Ce n'est pas politique en soi.

Paperjam: Concernant les clusters dans les maisons de soins, jugez-vous la polémique qui a eu lieu comme légitime ou purement politicienne?

Paulette Lenert: Les deux. C'est tout à fait légitime, car c'est dramatique, cela génère des émotions, il y a des décès, c'est douloureux. Cela choque quand il y a un cumul des décès. Que l'on cherche à comprendre, c'est donc normal. Mais le discours est devenu envenimé à un moment. Qu'on demande une enquête, oui. Mais qu'on demande une démission avant que l'enquête soit terminée, ma foi, c'est tout de même très politique de revendiquer cela... Au début, la tendance était inverse: on nous reprochait, en empêchant les visites, d'être trop sévères. Tout un pan de la population s'est levé: il ne faut pas emprisonner les gens âgés, c'est dramatique... Maintenant il y a beaucoup de décès et les gens se demandent: est-ce que c'est suffisamment strict? Est-ce que tout a été fait? Mais que cela préoccupe, c'est humain, c'est normal. Très franchement, je préfère cela, cela m'inquièterait plus si tout le monde était indifférent.

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