Interview avec Paulette Lenert dans le Quotidien

"Nous ne pouvons pas aller contrôler qui a été vacciné"

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: Jusqu'à présent, vous avez avancé prudemment dans la campagne de vaccination. Vous décidez finalement de prendre des risques et de puiser dans la réserve des secondes doses. Un gros risque?

Paulette Lenert: Non, ce ne sont pas des risques inconsidérés. Nous avons déjà treize États membres qui le font et nous avons quand même des livraisons. Avec AstraZeneca, nous avons une fourchette de huit à douze semaines pour injecter la deuxième dose selon les recommandations, donc nous avons une certaine flexibilité. On peut s'adapter très rapidement, ouvrir davantage de lignes dans les centres de vaccination, nous disposons des ressources humaines suffisantes pour cela mais pour l'instant nous répartissons les doses dans tous les centres donc le démarrage est lent. Nous sommes toujours tributaires des livraisons que tout le monde peut consulter sur le calendrier mis en ligne à cet effet. On parle toujours de prévisions, bien sûr.

Le Quotidien: L'Union européenne a fait tout ce qui était possible pour accélérer la production de masse de doses de vaccin et tenir l'objectif de vacciner 70 %des adultes d'ici à la fin de l'été. Vous y croyez?

Paulette Lenert: Oui, parce que je suis optimiste. Je reste persuadée que nous sommes confrontés à des difficultés de démarrage. Ce vaccin est un défi en termes de production et c'est ce que nous expliquent les fabricants qui doivent faire des adaptations sur les lignes de production. L'arrivée du vaccin de Johnson & Johnson va aussi améliorer la situation.

Le Quotidien: Et le vaccin Spoutnik qui engendre un tourisme vaccinal en Russie?

Paulette Lenert: Pour l'instant, ils ne nous ont pas encore fait la demande. Mais si ce vaccin est admis en Europe, on est prêt à l'acheter. Si l'UE ne l'achète pas, le Luxembourg peut le faire séparément, mais on s'est engagé pour un achat groupé au niveau européen à chaque fois que c'est possible parce que ça marche bien.

Le Quotidien: Les tests rapides peuvent participer à lutter contre la propagation du virus. Où en est-on au Luxembourg?

Paulette Lenert: On utilise déjà beaucoup de tests rapides, à l'aéroport, dans les maisons de soins, dans les hôpitaux, les écoles. Ces tests sont très fiables mais s'effectuent par un prélèvement naso-pharyngé, un acte réservé à certaines professions, on ne peut pas le faire soi-même. Nous avons un grand stock de tests rapides mais encore parfois peu utilisés, dans les maisons de retraite par exemple, faute de personnel qualifié pour les prélèvements. Il y a une nouvelle génération de tests aujourd'hui, notamment un test nasal que les enfants peuvent réaliser eux-mêmes et qui sont très bons. Nous sommes en train de négocier pour les acheter pour les écoles. D'autres produits comme les tests salivaires, avisés favorablement par les autorités sanitaires allemandes il y a quelques jours, sont aussi en commande. Tous ces tests sont fiables. Les pharmaciens qui sont autorisés à faire les prélèvements vont bientôt offrir leurs services pour réaliser les tests rapides naso-pharyngés. J'espère que d'ici une semaine ou deux, les tests rapides puissent arriver dans les écoles.

Le Quotidien: Peut-on espérer que l'utilisation à grande échelle de ces tests rapides permette l'ouverture des secteurs les plus touchés par la pandémie? Les restaurants, par exemple, ou les terrasses des cafetiers comme ils le demandent?

Paulette Lenert: Pour les restaurants, c'est une discussion, mais il faudrait pour cela que la situation se stabilise à un bas niveau et nous étions bien partis, mais malheureusement le nombre d'infections ne fait que progresser. Si seulement nous avions pu tenir encore un mois parce qu'il ne faut pas oublier que la protection maximale du vaccin est atteinte seulement sept jours après la seconde dose, et on y arrive seulement maintenant. Nous avons vacciné énormément de gens vulnérables, dans les maisons de retraite notamment, et juste maintenant nous sommes confrontés à la propagation des variants. J'étais prête à donner un peu d'air à l'Horesca et nous étions en discussion pour voir comment ouvrir sous certaines conditions. L'espoir est que le chiffre des infections se stabilise à 200 avec les mesures encore très strictes qui sont en place. Le variant britannique qui se répand beaucoup plus rapidement est déjà présent dans 57%des échantillons.

Le Quotidien: Nous avons eu un scandale dans les hôpitaux, avec la vaccination de trois membres du conseil d'administration des hôpitaux Robert-Schuman. Mais d'autres cas d'abus ont été révélés depuis. Comment comptez-vous réagir?

Paulette Lenert: Il faut bien faire la part des choses. Je pense sincèrement que la communication n'était pas optimale. Si le cas relève de la malhonnêteté, je ne vais pas lâcher l'affaire mais en ce qui concerne les trois membres du conseil d'administration des HRS il y a eu une divergence d'interprétation sur la notion de "bouclier sanitaire ". Ils étaient sûrs d'eux. Il n'y a rien d'abject ici de leur part, mais ils auraient pu avoir une communication plus nuancée. En revanche, se servir des doses réservées à l'hôpital pour vacciner les conjoints et tout sa petite famille c'est grave et répréhensible et ne prête à une aucune erreur d'interprétation. Nous avons demandé aux quatre hôpitaux de nous dire si les instructions avaient été bien comprises, dès les premières rumeurs. C'est ainsi que nous avons appris que les trois membres de la présidence des HRS avaient été vaccinés. Mais nous avons demandé également aux hôpitaux de vérifier leurs listes de vaccinés.

Le Quotidien: Avez-vous également des dénonciations sur des agissements dans les centres de vaccination?

Paulette Lenert: Oui, des dénonciations anonymes et nous sommes allés vérifier surplace puisque l'on nous a dit que des gens qui n'étaient pas prioritaires se faisaient vacciner avec les doses restantes alors qu'il y a des instructions très claires. Les doses restantes servent au personnel sur place ou les personnels du CG-DIS. Nous surveillons la bonne application des consignes pendant cette campagne vaccinale et aucune dose n'est jetée. Il en reste peu de toute façon parce que les gens prennent leur rendez-vous.

Le Quotidien: Le ministère de la Santé peut-il contrôler à qui les doses ont été administrées dans les hôpitaux ou dans les centres de vaccination?

Paulette Lenert: Nous ne pouvons pas aller contrôler qui a été vacciné, cela relève de la protection des données. En cas de plainte, le parquet peut accéder à ces données parce qu'il a d'autres pouvoirs. C'est un bon exemple dans cette discussion sur la protection des données parce que régulièrement le gouvernement a été accusé d'avoir trop de pouvoir dans ce domaine. Les mêmes qui nous reprochent cela sont ceux qui aujourd'hui nous disent qu'il serait tout à fait normal pour le gouvernement de vérifier qui a été vacciné. Non, ce n'est pas possible et c'est précisément cela la protection des données.

Le Quotidien: En parlant de données, pourrait-on affiner celles qui sont livrées régulièrement par le gouvernement, la localisation des clusters, les causes des décès, par exemple?

Paulette Lenert: Pour les clusters, on reste à l'échelle cantonale. Les communes peuvent connaître leurs chiffres, mais le Syvicol est opposé à la carte par commune. Je peux le comprendre parce qu'il s'agit parfois de petits villages et il y a un grand risque de stigmatisation que l'on ne doit pas sous-estimer. Pour les décès, nous avons un chiffre de décès à l'hôpital et hors hôpital.

Le Quotidien: Êtes-vous favorable à la levée des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins pour permettre de les produire beaucoup plus massivement?

Paulette Lenert: Idéalement, oui. Il y a des biens essentiels, notamment les médicaments, qu'il faudrait assurer par la main publique. Mais je ne pense pas que l'on puisse lever tout bonnement les droits de propriété intellectuelle.

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